Othello, Jesus, et un figuier.
Othello est sans aucun doute la pièce de Shakespeare qui a, au cours du dernier demi-siècle, rencontré le plus de succès auprès des metteurs en scène. N'y trouve-t-on pas une condamnation virulente du racisme ? N'est-elle pas le parangon du politiquement correct ? Mais ce More est-il bien un Maure ? Et, d'abord, pourquoi le représenter sous les traits d'un noir ? Les Maures sont des Berbères, et les Anglais du XVIème siècle, aux prises avec les Barbaresques, savaient fort bien ne pas les confondre avec des Noirs. Pourtant, ici et là, on trouve, dans le texte, une allusion sans équivoque à la négritude d'Othello. Mais que vient faire ce Maure dans l'armée vénitienne ? On n'en a connu guère, ni à Venise, ni dans le reste de l'Italie... En revanche, des "Mores", oui... A commencer par le célèbre Ludovic " le More" Sforza, duc de Milan, et ennemi de François Ier... La pièce de Shakespeare (1604) trouve sa source dans un récit de Giambatista Giroldi Cinthio (1565) Lequel, lui-même, se serait inspiré de l'aventure d'un général vénitien, Cristoforo Moro (Christophe le More), qui gouverna Chypre en 1508. Etre qualifié de "More", pour un général italien, signifiait avoir "la mûre", la chance, la baraka... Le public anglais ne l'ignorait pas, mais Shakespeare s'est livré à un jeu de mots dans le goût de l'époque. D'antiracisme, point. C'eut été, d'ailleurs, un anachronisme. Quant à cette "mûre", il s'agissait du fruit du figuier-mûrier, le sycomore, qui, dans l'Antiquité, constituait un arbre sacré, ce qu'à la fi du Moyen-Age on n'avait toujours pas oublié. A ce point, on se souviendra de la parabole du figuier stérile, telle que rapportée par les évangélistes Marc et Luc. Jesus voulut cueillir le fruit d'un figuier, mais ce n'était pas la saison, et, de dépit, il maudit l'arbre, qui dessécha, et devint stérile. Cette parabole est incompréhensible, car elle fait de Jesus un être tyrannique et capricieux. Les tentatives des Eglises de donnerà cet épisode une explication symbolique, le figuier étant le Judaïsme, sont au mieux, pathétiques. Les Evangélistes n'ignoraient pas que lesProphètes condamnaient le culte des jardins sacrés, et que l'Arbre sacré par excellence était un figuier. Mais la rédaction des Evangiles canoniques fut beaucoup plus tardive que les Eglises ne veulent l'admettre, et, tout au moins pour les synoptiques, elle eut lieu à Rome. Les auteurs ne connaissaient rien à l'Orient, confondirent le figuier-mûrier avec le figuier commun, et inventèrent une jolie histoire sans queue ni tête. Revenons au More de Venise. Son véritable sujet, c'est l'opposition de l'envie et de la jalousie, personnifiées par deux anti-héros, Iago et Othello. Quant aux sentiments de Shakespeare... Celui-ci était un génie, mais aussi un homme de son temps. L'Angleterre était à l'aube de l'ère coloniale. Celle-ci était exaltée dans la Tempête. Ce qui impliquait un mépris colossal de l'indigène, à peine bon à être un esclave. L'homme noir, selon Shakespeare, ce n'était pas Othello, mais Caliban.
Irène Blasbalk Mai 2011.
Othello est sans aucun doute la pièce de Shakespeare qui a, au cours du dernier demi-siècle, rencontré le plus de succès auprès des metteurs en scène. N'y trouve-t-on pas une condamnation virulente du racisme ? N'est-elle pas le parangon du politiquement correct ? Mais ce More est-il bien un Maure ? Et, d'abord, pourquoi le représenter sous les traits d'un noir ? Les Maures sont des Berbères, et les Anglais du XVIème siècle, aux prises avec les Barbaresques, savaient fort bien ne pas les confondre avec des Noirs. Pourtant, ici et là, on trouve, dans le texte, une allusion sans équivoque à la négritude d'Othello. Mais que vient faire ce Maure dans l'armée vénitienne ? On n'en a connu guère, ni à Venise, ni dans le reste de l'Italie... En revanche, des "Mores", oui... A commencer par le célèbre Ludovic " le More" Sforza, duc de Milan, et ennemi de François Ier... La pièce de Shakespeare (1604) trouve sa source dans un récit de Giambatista Giroldi Cinthio (1565) Lequel, lui-même, se serait inspiré de l'aventure d'un général vénitien, Cristoforo Moro (Christophe le More), qui gouverna Chypre en 1508. Etre qualifié de "More", pour un général italien, signifiait avoir "la mûre", la chance, la baraka... Le public anglais ne l'ignorait pas, mais Shakespeare s'est livré à un jeu de mots dans le goût de l'époque. D'antiracisme, point. C'eut été, d'ailleurs, un anachronisme. Quant à cette "mûre", il s'agissait du fruit du figuier-mûrier, le sycomore, qui, dans l'Antiquité, constituait un arbre sacré, ce qu'à la fi du Moyen-Age on n'avait toujours pas oublié. A ce point, on se souviendra de la parabole du figuier stérile, telle que rapportée par les évangélistes Marc et Luc. Jesus voulut cueillir le fruit d'un figuier, mais ce n'était pas la saison, et, de dépit, il maudit l'arbre, qui dessécha, et devint stérile. Cette parabole est incompréhensible, car elle fait de Jesus un être tyrannique et capricieux. Les tentatives des Eglises de donnerà cet épisode une explication symbolique, le figuier étant le Judaïsme, sont au mieux, pathétiques. Les Evangélistes n'ignoraient pas que lesProphètes condamnaient le culte des jardins sacrés, et que l'Arbre sacré par excellence était un figuier. Mais la rédaction des Evangiles canoniques fut beaucoup plus tardive que les Eglises ne veulent l'admettre, et, tout au moins pour les synoptiques, elle eut lieu à Rome. Les auteurs ne connaissaient rien à l'Orient, confondirent le figuier-mûrier avec le figuier commun, et inventèrent une jolie histoire sans queue ni tête. Revenons au More de Venise. Son véritable sujet, c'est l'opposition de l'envie et de la jalousie, personnifiées par deux anti-héros, Iago et Othello. Quant aux sentiments de Shakespeare... Celui-ci était un génie, mais aussi un homme de son temps. L'Angleterre était à l'aube de l'ère coloniale. Celle-ci était exaltée dans la Tempête. Ce qui impliquait un mépris colossal de l'indigène, à peine bon à être un esclave. L'homme noir, selon Shakespeare, ce n'était pas Othello, mais Caliban.
Irène Blasbalk Mai 2011.